Pendant tout le dernier demi-siècle, dans le vide créé après la guerre par l'épuisement des grands mouvements intellectuels, contre le Tzara du dadaïsme, le Breton du surréalisme ou le Sartre de l'existentialisme, s'est dressé Isidore Isou et sa créatique.
A 75 ans, contestataire, controversé, inconnu, méconnu, physiquement diminué, malade et à demi-paralysé, quelquefois qualifié d'utopiste sinistre, délirant ou sulfureux, souvent exalté avec une violence et une agressivité verbales, avec une phénoménale ambition d'autoritariste intellectuel et la scandaleuse vivacité d'un esprit d'une culture encyclopédique et d'une intelligence fulgurante, il se présente comme une monumentale mémoire critique proposant une nouvelle vision intégrale de la future culture de l'humanité, celle, exclusivement, de la création.
Ce dernier grand acteur et témoin de la vie intellectuelle de Saint Germain des Prés depuis 1947 se bat donc toujours contre ce qu'il appelle les ersatzs, les reproducteurs copistes pilleurs, les épigones et les faussaires.
Son demi-siècle d'efforts souterrains, gigantesques dans sa tentative de rénovation des principales branches de la culture globale, lui a permis d'écrire plusieurs dizaines d'ouvrages de référence, inclus dans plus de 20 000 pages de publications faisant naître plusieurs milliers d'uvres, de toutes les disciplines bouleversées par sa pensée novatrice, réalisées avec les dizaines de créateurs de son mouvement qui exploitent, appliquent, enrichissent et prolongent ses concepts.
Des prémonitions géniales comme celles de la révolution culturelle des étudiants et lycéens chinois et de mai 68 on Occident ont été théorisées et anticipées 20 ans avant par sa refondation de la théorie politique, sociale et économique du Soulèvement de la jeunesse parue en 1949 dans son premier tome du Traité d'économie nucléaire, comme celle de sa bataille pour la démonétisation de l'or appliquée des années plus tard aux Etats-Unis et dans le monde entier et comme celle de son ancienne exigence de financement des jeunes créateurs, de fait devenu le fondement actuel de la nouvelle économie.
La libération et l'ouverture des formes et des contenus de la littérature, de la poésie, des arts plastiques et de la musique par sa théorie Lettriste et ses profondes évolutions ultérieures, hypergraphie, art infinitesimal et supertemporel, ont été annoncées par des conférences publiques, par la publication de l'Introduction à une nouvelle poésie et à une nouvelle musique en 1947 et se sont concrétisées dans des uvres présentées dans des galeries d'art, au Musée d'Art Moderne et lors de concerts, à Radio France, par des publications et par des enregistrements aux Etats-Unis et dans le monde.
Sa novation cinématographique dans plusieurs films, aujourd'hui conservés à la Cinémathèque ou au Musée Georges Pompidou, a été initiée par son film le Traité de bave et d'éternité, prix des spectateurs d'avant-garde au festival de Cannes en 1951.
La publication de ses Fondements pour la transformation intégrale du théâtre en 1952 a permis la création de pièces d'un théâtre nouveau présentées à la Biennale de Paris ou au Studio d'Ivry.
En philosophie sa Créatique ou Novotique, méthode systématique et globale de création culturelle, d'invention et de découverte basée sur sa Kladologie, science des branches de la connaissance humaine, lui a permis de construire sa généalogie cartographique des vrais créateurs et des génies fondamentaux de la culture dans un ouvrage inédit de 5 500 pages en 9 volumes déposé à la bibliothèque nationale en 1976 et qui paraîtra dans les prochains mois.
Dans son système intégral de la culture, les sciences ont également fait l'objet de ses tentatives de renouvellement à travers ses ouvrages de refondation des mathématiques, de la physique-chimie, de la médecine et de la psychologie publiés tout au long de sa vie.
Pour bâtir la culture du troisième millénaire peut-on réellement puiser dans la somme créative proposée par Isidore Isou et mettre en uvre sa méthode de novation généralisée ? Il y a un quart de siècle, soutenant une thèse d'Etat à l'Université de Vincennes Isidore Isou interrogeait à son tour les examinateurs sur "ma vie est-elle un échec ?".
Aujourd'hui il vient apporter, à la Cité de la Réussite de la Sorbonne, son témoignage original au cours de ce qui sera, sans doute, la dernière participation de ce personnage hors du commun à une grande manifestation publique.
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